Du kinnaur au Spiti, sur les routes de l'Himachal Pradesh
Vallée de Sangla
Après une nouvelle bataille de l’information menée contre les chauffeurs de taxi mitomanes, nous finissons par trouver la gare routière pour Sangla. Le bus estampillé fièrement Himachal Pradesh transport sort tout droit d’un vieux film d’aventure du type Tintin aux Indes. Le chauffeur était sûrement pilote de rallye sur le Paris-Dakar avant de prendre son poste sur cette ligne de bus. Le type conduit l’engin comme une clio 4 sur une route, certes asphaltée, mais composée de virages en épingles se répétant tous les 500m pendant 6h. Son visage ne laisse transparaître aucune émotion, malgré le nombre incalculable de camions doublés en plein virage et les freinages d’urgence à répétition. Je développe au fur et à mesure des heures de trajet une fascination pour cette personne qui gère 32 tonnes en montagne comme si ce n’était qu’une brouette remplie de patates. À la pause pipi, je note tout de même que la carrosserie est parsemée de vomis sous plusieurs fenêtres. La route est un long Mario Kart, sur fond de vallées plus qu’ultra peuplées, où il faut éviter vaches, voitures, poids lourds et ravins, pendant de longues heures. Changement de bus. Changement de passagers. Mon voisin a un plumeau sur la tête. Nous entrons en terre déguisées. Petites tocs vertes, étoffes rouges, enfants au yeux cernés de khôl. C’est carnaval. Nos soirées déguisées devraient en prendre de la graine. Nous gravissons maintenant une petite route à flan de falaise, le chauffeur roule à toute berzingue. La sonnerie de son téléphone branchée sur les enceintes va finir par le déconcentrer. Je pourrais presque commencer à flipper si je réfléchissais. Le ravin est monstrueux. “Drive fast can be your last drive” mentionne poliment un panneau. 24km et 45min plus tard, nous arrivons à Sangla. La beauté de l’endroit n’a d’égal que le folklore de la route pour y arriver.
Nako, région du Kinnaur
Aujourd’hui est un grand jour. Nous partons explorer les montagnes de l’Himachal Pradesh à pied. Au réveil, je constate que mes habits mis à sécher pendant la nuit ont gelé. Le réveil est glacial. Le type de l’hôtel, trop heureux de pouvoir s’enfermer dans la cuisine avec le gaz à pleine balle nous fait un petit excès de zèle, et passe près d’1h30 à nous cuisiner le petit déjeuner. Retrouver un peu d’autonomie nous enchante (oui même moi).
A peine sorti, il suffit de quelques mètres pour découvrir des paysages grandioses qui se dessinent à perte de vue. Le Spiti est un désert d’altitude. Un tas de cailloux monumental, parsemé de neige sur les plus hauts sommets du monde. C’est beau, c’est calme, et c’est à couper le souffle (surtout parce que nous marchons à 4000 mètres d’altitude). Nous pouvons enfin nous approprier les lieux autrement que dans les bus bringuebalants.
Le sentier est d’autant plus excitant qu’il est censé nous mener au monastère de Tashigang, où le Lonely Planet nous promet une nuit avec moines inclus contre du sucre.
Monastère de Tashigang
La tête dans les nuages inexistants, nous serpentant pendant plus de 4h le flanc de montagne. Arrivés dans le petit village, une vieille dame nous repère rapidement, bien que nos dégaines d’américains en balade se fondent plutôt bien dans le paysage. Elle parle (ou plutôt crie) dans une langue inconnue pour nous, elle semble vouloir une réponse à une question que nous ne cernons pas. Quelques politesses gestuelles de notre part, deux Namaste et trois sourires courtois plus loin, nous la retrouvons qui, excusez moi l’expression, gueule depuis son pas de porte. En plus des moulins à prières que nous sommes venus admirer, le hasard nous livre ce moulin à parole indien. Elle semble capter le terme « Gompa » depuis le début, qu’elle nous indique de manière plutôt forcée et bruyante. Nous trouvons finalement le fameux temple, mais v’la ti pas que grand mère débarque pour nous crier de venir plutôt par là, trousseau de clés en main.
Là dans une pièce qui pourrait s’apparenter à un grenier, à laquelle on accède par une petit échelle, se niche un monumental moulin à prière que la vieille dame fait tourner en entrant. Elle ouvre avec peine une fenêtre poussiéreuse qui laisse entrer un filet de lumière dans la pièce nous laissant prendre conscience du lieu. Les murs sont peint de fresques anciennes et décrépies, des bougies brillent doucement au pied d’un petit hôtel. Le fond de la pièce est remplie de statuettes, et le sol couvert de vieux tapis. On devine des places assises pour prier. Il fait sombre. Le lieu est incroyable. Au fond, se cache dans la pénombre une sculpture de bois ronde, ciselés avec une finesse hors du temps, aussi haute que la pièce. Nous sortons, comme des gamins qui aurait découvert un trésor. J’offre une friandise à mamie, qui nous invite à boire le thé chez elle.
Chaï masala
Grand-mère a du faire fortune dans le business juteux de la pomme, qui pousse étrangement bien dans ce désert. Sa maison est flambant neuve et l’intérieur oscille entre esprit Tiny house et yourte mongole. Nous tentons une discussion pour détendre l’atmosphère. Récemment nous avons ajouté la négation à notre vocabulaire local, notion sur laquelle elle revient de manière répétitive. Le mime dormir + monastère ne l’enchante guère. Elle semble vouloir nous voir déguerpir de ce village. Passé la politesse du thé, nous renfilons nous basket et prenons le large. Depuis son balcon, elle nous hurle la direction pour nous éloigner le plus rapidement possible du temple. Échec de la mission. Trop effrayé par les hurlements de cette autochtone pour retenter une entrée, nous suivons ces ordres. Nous ne saurons jamais si les moines se cachaient encore dans ces murs, ni ce que les longues explications de cette femme signifiaient. Maintenant nous voilà comme des c* dans ce village qui n’en est pas un, encerclés par des kilomètres de pistes sableuses. Rien de très romantique à l’horizon pour une nuit à la belle.
Un trajet en camion benne avec vue panoramique et 3 tonnes de poussière dans les poumons plus loin nous finissons par rentrer à Nako plus intrigués que déçus. Les types qui écrivent ces guides touristiques prennent ils simplement note de ce que raconte l’hurluberlu du coin?, Les moines ont-il désertés à l’approche de l’hiver? La grand-mère nous a t-elle bien eu ? Le mystère de Tashigang restera entier et en plus de cela, ça me fait une histoire à raconter.
Vallée du Spiti
HomeStay trekking
Village de Demul. Altitude : 4400m. Désert de roches et altitude assommante. Des gens vivent ici, à des hauteurs qui font tourner la tête. Ils se chauffent aux crottes de vaches et entassent minutieusement du foin pour l’hiver sur leurs toits de terre. Une vieille dame se lave dehors avec un sceau a 4400 mètres d’altitude. Dans les grandes maisons blanches s’entassent des familles entières mais aussi des touristes curieux de découvrir une vie dépouillée de tout artifice moderne (mais tout de même avec la 4G). Les intérieurs de terre battue aux effluves d’urines animales vous promettent un voyage spacio-temporelle folklorique. On s’extasie devant la beauté de cette vie rude et hors du temps mais on est content qu’elle ne dure qu’un instant pour nous. Pour eux, elle durera 3 mois complètement coupé du monde lorsque l’hiver s’installera.
Dans le salon-cuisine-chambre commune de la maison nous tentons une incruste près du poêle. Pas de wifi, pas de télé, pas de langue commune. Il n’y a qu’à se laisser cuire près du feu en observant l’autre. Grand-mère voûtée comme une équerre fait tourner son moulin à prière en psalmodiant au coin de la fenêtre. Les enfants crasseux jouent avec des oignons entre deux vidéos YouTube. La belle fille emplie sans relâche le poêle de bouses de vache séchées. Ils parlent. On plisse les yeux pour saisir ne serais-ce qu’un mot. On imagine, on fabule sur le sens de la conversation. Un ange passe, je me demande ce qu’on fout là. Le fossé culturel est tellement grand. 3h44, des bestioles grattent au plafond de la « chambre ». Des rats ? Leo se lève pour mettre à l’abris son duvet qui vaux le prix de cette maison. Un panneau à l’entrée du village rappelle, entre autre, de ne pas offrir de cadeaux aux enfants. Les oignons leurs suffisent. Le chef du village passe, boit un coup, se met nos billets dans la poche et repart.
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