J’en avais presque oublié la sensation. Les grands voyages.
Le choix d’une destination comme le choix d’un cadeau de Noël. L’excitation du départ. Le stress de l’aéroport. Et puis à peine assise dans l’avion, ce léger bien être qui me plonge la plupart du temps dans le sommeil cotonneux du lâcher prise tant attendu.
Saint-Denis, Réunion. 7h30 du matin. Une nuit presque blanche, un vol de 11h dans les pattes. De la fenêtre du bus j’aperçois des ruelles d’échoppes. Les scènes de vie. Plaisir tropical. Enfin le voyage reprend. On descend là? J’aperçois un café. Minuscule terrasse, chaises en plastique, brochette de locaux, la carte postale des pays chauds que je suis tellement heureuse de retrouver. C’est parfait. À peine le temps de poser nos sacs que Momo, sexagénaire maigrelet au costume faussement sérieux, nous inonde de son bavardage matinal. Pas désagréable, mais beaucoup trop loquasse pour que cela soit naturel. Je demande, sans vraiment d’espoir, où se trouve l’hôtel le moins cher de la ville. De but en blanc, le grand bonhomme nous invite chez lui.
Un peu comateux d’une nuit presque inexistante, et franchement flemmard, nous le suivons. Tout le monde a l’air de le connaître en ville. L’appartement est plutôt spacieux, et même si il ne respire pas la fraîcheur, je m’attendais à bien pire. Mon niveau d’exigence chute de voyage en voyage.
Allons bon. Puis vient la bouteille de rosé à 8h du matin. Celle de Ricard que j’aperçois au loin dans la cuisine. Le frigo vide d’aliments mais plein d’autres choses. Et s’ensuit, l’interminable monologue sur fond de BFM TV. Et ça, pendant des heures qui me paraissent interminablement interminables. Dans la salle de bain, ses grands slips sèchent derrière la porte. Les albums photos de sa vie d’avant qu’il commente, sa vie en morceaux, triste comme le cliché top réel d’une enfance perdue dans l’Est de la France et d’une vie à enseigner dans les colonies. Les photos de sa mère décédée il y a sûrement 45 ans puis les photos de son accident de voiture . Les photos de sont faire-part de décès. Je regarde la porte en face de moi. Je pense à la tente dans le sac de Leo. Bienvenue à la réunion. Jour même pas un. Patience et indulgence.
Après 11 jours sur le GR2, nous avons poursuivis le voyage à pied majoritairement, mais aussi en stop et en bus.
Les îles auraient-elles cette douceur tant rêvée dont nous avons oublié le parfum ? Le calme, pas de foule, quelques oiseaux qui discutent, le bruit des vagues, comme la bande son d’un disque de relaxation. L’anonymat des masses humaines n’est pas là pour permettre la dérive. Tiens toi correctement, car tu es sur une île et une île bien perdue, respecte ton voisin car un de tes amis se cache sous chaque toit.
Parfois j’ai envie de tout envoyer balader. De prendre une chambre et d’y rester une semaine, enveloppée de draps blancs, de propreté et de fruits et légumes frais.
Aujourd’hui je suis épuisée. Je suis fatiguée de ce poids sans cesse sur mon dos, ces 15 kilos qui alourdissent et compliquent chacun de mes pas. Ces voyages demandent une énergie folle. Il y a des jours où je rêve d’un week-end de congé pendant mes vacances. Il est difficile de se déconditionner de cette vie si facile servie sur un plateau. Mais il est tellement bon de retrouver un peu de confort après des journées minimalistes. La moindre chose prend une saveur si incroyable.
On vit plus avec moins. C’est comme si l’univers tout entier se pliait constamment en quatre pour te donner de quoi avancer. Voyager simplement avec sa tente et ses pieds, c’est se rendre compte chaque jours que l’espèce humaine est généreuse, douce, et bienveillante. C’est reprendre foi en l’être humain. On nous conditionne à une peur de l’autre si inutilement paralysante.
Le voyage est une constante maitrise de ses envies. Ne pas être là pour “se faire plaisir”. Le plus dur est de réussir à se débarrasser de cet égoïsme malsain qui souvent pousse à partir pour simplement s’offrir tout et n’importe quoi, sans réfléchir.
Repenser ses besoins. Revenir à l’essentiel. Chasser de son esprit les appels inutiles à la consommation. Se priver de l’inutile est tellement énergivore.
Les voyages dans les DOM-TOM auront toujours cet arrière goût amer. Celui d’une histoire, qui disparait souvent des livres d’écoles. Le film se répète inlassablement, le scénario se modernise. Comme ces productions qui finissent par enchaîner les remakes en laissant croire que l’histoire sera encore mieux que la précédente. Esclavagisme, engagisme, servilisme, … Non, l’histoire ne change pas vraiment. Ce sont toujours les mêmes qui détiennent pouvoir et richesses, toujours les mêmes qui dirigent le monde en jetant des paillettes. 200 ans après.
En repartant, j’ai pensé à Momo, finalement, il est un peu le stéréotype de la population blanche de l’île Bourbon. Professeur, métropolitain et déraciné. Ces hordes de petits professeurs blancs, attirés dans les années 60 par la prime coloniale, sont venus enseigner à la population locale l’histoire, la langue et la culture d’une terre qu’il ne connaîtront sans doute jamais.
Leur enseigne t-on la langue de leurs ancêtres ? L’histoire si âpre de cette île au gout suave ? Leur explique t-on sur les bancs de l’école pourquoi leurs mères sont tamoules, et leurs pères africains ? Pourquoi la voisine est-elle chinoise ? Non. On préfère parler de la belle grammaire française et de la seconde guerre mondiale tout en payant le professeur comme un ingénieur des ponts et chaussées dans un pays dans lequel être payé au SMIC est une norme.